Depuis l’arrivée au pouvoir du Parti québécois en 1994, les politiques publiques ont été conçues de façon à continuer la restructuration néolibérale de l’État amorcée par les Libéraux, tout en y ajoutant certaines caractéristiques propres à la social-démocratie. Le gouvernement du Québec doit en effet composer avec des mouvements sociaux forts dont il requiert l’appui pour son projet nationaliste. Son aile gauche est très articulée et plusieurs députés et ministres sont même issus des rangs des organisations populaires, syndicales et des groupes de femmes.
Selon les visées de ce gouvernement et de son prédécesseur libéral, un "État accompagnateur" devrait remplacer l’État-providence mis en place lors de la Révolution tranquille, qui aura été à son époque le symbole de la modernisation de la société québécoise ainsi que le ciment de ses aspirations nationalistes, reprenant ainsi certaines fonctions jusque là exercées par le clergé et par l’Église. La "passivité" ou la "dépendance" de la société civile envers l’État et l’interférence trop prononcée de l’État avec le marché motivent ce retrait de fonctions jugées dorénavant trop intrusives pour l’État. Mais contrairement à son voisin américain ou au modèle canadien duquel il participe d’ailleurs, l’État québécois doit se renouveler en prenant en compte le rôle de cohésion qu’il a assumé dans ce contexte nord-américain où il est minoritaire, ainsi que les mouvements sociaux qui ont tour à tour forcé et appuyé son développement.
Par ailleurs, et ce, depuis le milieu des années 1970, le mouvement des femmes a choisi d’interpeller l’État québécois. La Marche des femmes "Du pain et des roses" l’avait fait justement en 1995, sur le thème de la reconnaissance du travail gratuit et invisible de soutien et d’entretien qu’effectuent les femmes auprès de leurs proches et de leurs communautés : elle avait réclamé au gouvernement du Parti québécois d’implanter un programme d’infrastructures sociales, un investissement dans le tissu social. Le gouvernement y avait répondu favorablement, en paroles tout au moins, et avait mis en place en 1996 des mesures régionalisées en économie sociale. Ce sont ces mesures que nous allons analyser ici. Elles ont été créées rapidement en réponse à la Marche des femmes, mais aussi dans la foulée d’une décentralisation de type néolibéral et de la recherche d’un équilibre des finances publiques (dont l’appellation québécoise a été celle du "déficit zéro").
Nous présentons ici une analyse de ces mesures d’appui à l’économie sociale car elles ont été décentralisées dès leur conception, gérées sur des bases régionale et locale et cogérées dans chaque région par des représentantes de groupes de femmes. Nous pourrons ainsi mieux saisir la complexité de ces nouvelles politiques publiques de type néolibéral mais gérées de concert avec la société civile, le développement du nouveau modèle québécois de gouvernance, ainsi que la transformation dans ce contexte du rapport des groupes de femmes à l’État. Nous nous sommes intéressée en particulier aux groupes de femmes régionaux, directement interpellés par cette politique publique.
Rappelons que les regroupements nationaux de groupes de femmes ont plutôt été écartés lors de la mise en place de cette mesure, le gouvernement ayant choisi de s’adresser directement aux "tables régionales" de groupes de femmes. Rappelons également le contexte de généralisation du discours néolibéral et du discours économique au Québec : les demandes de "droits" sont maintenant rapidement invalidées tout comme celles d’investissements directs dans des programmes sociaux. Pendant la période que nous analysons, les investissements publics dans le domaine du social sont aussi drastiquement coupés : ainsi, le virage ambulatoire est amorcé à ce moment même.
1. Un enjeu de gouvernance et de régionalisation
2. Les définitions théorique et opératoire de l’économie sociale : un reflet des rapports entre l’État et la société civile
3. Les mesures régionales en économie sociale (1996-98) : une lutte pour le discours à l’intérieur de l’espace public régional
4. Les mesures régionales en économie sociale (1996-98) : la légitimation de nouveaux acteurs collectifs régionaux
Conclusion
Bibliographie
> La version intégrale de cet article de Denyse Côté est offert en ligne en format pdf.
2005. Le débat québécois sur l’économie sociale : "mais que sont nos politiques devenues?", dans Masson, Dominique, Femmes et politiques : l'État en mutation, Ottawa, Presses de l’Université d’Ottawa, pp. 243-272.