Il pleut sur Florianópolis. En fait, il fait plus froid qu’à Gatineau, en cette troisième semaine de septembre. Un temps de canard. Pas du tout propice à visiter les magnifiques plages qui font de cette ville une destination prisée des touristes brésiliens et argentins. Mais nous ne sommes pas venues pour ça. Nous y sommes plutôt pour assister à la dixième édition du colloque « Fazendo Genero », FG10 pour les intimes. Avec 5 000 autres congressistes, en très grande majorité (95%) des universitaires brésiliennes. De toutes les régions du pays, de l’Amazonie, du Nordeste, de Porto Alegre, de Rio, de Sao Paulo… Des étudiantes au premier cycle (la zone des affiches leur est d’ailleurs réservée), des diplômées des cycles supérieurs, des professeures, des chercheures, des « institutionnelles » (c’est-à-dire des militantes ou professeures féministes qui ont accepté des postes gouvernementaux).
Je suis entourée bien entendu de portugais (il n’y a pas de traduction, mais c’est normal, il s’agit d’un colloque national). Je me débrouille tout de même assez bien avec mon espagnol, je lis même le portugais sans trop de problèmes, dans mon domaine bien entendu. Et je saisis les propos, assez pour apprécier la très grande qualité des présentations : tables rondes en matinée et en soirée sur de grands enjeux sociaux, ateliers en après-midi sur les cinq jours du colloque, débats sur l’avancée concrète de l’égalité des femmes brésiliennes et sur la persistance des inégalités de classe et de race au Brésil. Je suis frappée par le nombre de participantes, certes, par leur francophilie, mais surtout par le haut niveau de la recherche : pas surprenant, selon une panéliste, le Brésil aurait proportionnellement plus de docteures que l’Allemagne toutes disciplines confondues… ce qui ne serait pas étranger au fait qu’elles peuvent se libérer grâce à la disponibilité d’une importante main-d’œuvre domestique).
C’est ma première visite au Brésil, j’y remarque donc de petits détails de l’espace public : les échanges entre hommes et femmes dans la rue, à l’université, dans les aéroports ressemblent étrangement, par leur simplicité, à ceux que je connais à Gatineau. Les femmes sont très présentes dans l’espace public, mais tout est blanc… nous sommes à Florianopolis, et à l’université : la géopolitique brésilienne me permet de mieux comprendre. Mes collègues brésiliennes de Manaus ou de Fortaleza m’expliquent en effet que le sud du Brésil est largement blanc et que l’université brésilienne peine à s’ouvrir aux Brésiliens afro-descendants et amérindiens. Le FG10 ne fait pas exception, les 40 coordonnatrices de « noyaux » d’études féministes d’autant d’universités présentes à une rencontre informelle étant toutes, à une exception près, de race blanche. Cela dit, le Brésil est ambitieux : il recevra en 2017 le congrès mondial « Mondes de femmes », tenu à Ottawa en 2011 et auquel l’UQO a participé. L’ex-président Lula avait misé sur l’enseignement supérieur et la recherche pour s’imposer comme une grande puissance : il est parvenu en quelques années à combiner massification (il y a maintenant plus de 175 universités réparties sur tout le territoire brésilien), qualité de l’enseignement et internationalisation. Ceci se reflète au FG10 qui recèle de doctorantes et d’aspirantes aux études de 3e cycle, ainsi que de jeunes professeures en études féministes formées… par une génération de professeures toujours présentes aux FG, retraitées et préretraitées.
Outre la force du nombre, tous les thèmes de l’heure sont abordés au FG10 : homoparentalité (ou « familles homoaffectives » selon la terminologie brésilienne), transsexualité, influence des médias sociaux, avortement (encore interdit au Brésil), religions traditionnelles et non traditionnelles, la violence faite aux femmes, médias, politiques publiques, accès des femmes aux cercles du pouvoir, et bien d’autres. Y figurent aussi les différentes écoles de pensée féministe contemporaines qui, ma fois, s’expriment à première vue plus ouvertement qu’au Québec. Mais ça, c’est un autre débat.
La vitalité de ce colloque enchante et surprend à la fois. Surtout la proximité des préoccupations et des analyses, malgré des réalités sociales, politiques et économiques fort différentes. Au panel de deux jours que j’ai organisé avec Cynthia Mara Miranda, du NEDIG de l’Université de Tocantins, les enjeux de la décentralisation et du développement régional du Brésil m’ont semblés curieusement semblables à ceux des régions québécoises… à l’exception bien sûr, du dépeuplement des régions. Y ont été abordés, tour à tour, l’accès des femmes aux activités génératrices de revenu, leur accès aux services de garde, aux lieux de pouvoir, la reconnaissance de leur travail informel, l’insertion des besoins des femmes en amont des décisions politiques. D’importantes initiatives extrêmement novatrices ont été analysées, provenant des États du Sergipe, du Pará, de l’Amazonas, de Rio de Janeiro et de Santa Catarina. L’utilisation de services de santé dans les campagnes pour améliorer le sort des femmes de pêcheurs, des initiatives de regroupements d’artisanes, les retombées des grands projets hydroélectriques et miniers, l’expérience désolante des postes de police pour femmes et leur difficulté, faute de ressources et de formation, à appliquer la loi Maria da Penha (sur la violence faite aux femmes) en région éloignée… Sans oublier le besoin de faire valoir au Québec comme au Brésil, la vision et les besoins des femmes des régions qu’on ne peut amalgamer à ceux des femmes des grands centres. Et les retards à insérer réellement une approche de genre au niveaux local et régional, qui sont (curieusement) très semblables au Québec et au Brésil.
La collection de ces présentations sera publiée sous forme de livre prochainement, sous la direction de Milena Fernandes Barroso de l’Universidade Federal do Amazonas.