Les questions liées aux femmes et à l'égalité des sexes ont brillé par leur absence lors de la Conférence internationale des donateurs pour Haïti qui s'est tenue le 31 mars 2010 à New York et au cours de laquelle plusieurs milliards de dollars ont été promis pour financer la reconstruction d'Haïti.
Le plan d'action national d'Haïti, plan qui définit les orientations à suivre en matière d'efforts de reconstruction et d'allocation des ressources, s'est basé sur l'Évaluation conjointe des besoins post-séisme (PDNA). Le PDNA est le résultat d'un processus de deux mois mené par le gouvernement haïtien qui a rassemblé plus de 250 personnes en provenance des Nations Unies, de la Banque mondiale, de l'Union européenne et de la Banque interaméricaine de développement. Malgré cet effort à grande échelle, le PDNA n'a pas réussi à intégrer la dimension de genre aux stratégies proposées par Haïti pour la reconstruction des politiques macroéconomiques, sociales, environnementales, infrastructurelles et de gouvernance.
Afin de permettre aux femmes haïtiennes de mieux se faire entendre, plus de 100 organisations et réseaux féministes internationaux, dans un effort commun, ont organisé une conférence de presse ainsi qu'un événement parallèle à la Conférence des donateurs le 31 mars. Lors de cet événement, elles ont lancé un Rapport parallèle en matière d'égalité hommes-femmes qui analyse et répond au PDNA avec la question de genre en toile de fond. Ce rapport commence par une lettre ouverte s'adressant aux donateurs et leur demandant d'intégrer le point de vue des femmes au processus de reconstruction et de prêter attention aux questions de genre dans toutes les politiques et allocations budgétaires.
Qualifiant le Rapport parallèle en matière d'égalité hommes-femmes d'instrument permettant de passer des mots à l'action, Kathy Mangones, représentante du bureau haïtien de l'UNIFEM, a déclaré que "le leadership et la participation des femmes dans la reconstruction d'Haïti" constitue le seul moyen de "créer des sociétés plus stables, plus inclusives et plus démocratiques". La très appréciée écrivaine américano-haïtienne Edwidge Danticat a qualifié le Rapport parallèle “d’essentiel pour la transparence, l’égalité et les droits des femmes et jeunes filles" et a déclaré qu’il s’agissait d’un grand pas en avant dans l’optique de "garantir la prise en compte de l’avis des femmes et des idées de base dans les pourparlers qui entourent la reconstruction." Marie St-Cyr, une militante haïtienne dans le domaine des droits de l’homme, a critiqué le PDNA : "nous nous inquiétons du fait que, bien qu’il traite de questions transversales, il s’agit en grande partie de rhétorique. Nous souhaitons que le gouvernement haïtien et la communauté internationale s’engagent à intégrer véritablement les femmes et les organisations féministes à l’ensemble du processus."
Nigel Fisher, le Haut représentant des Nations Unies pour le PDNA et le président et PDG d'UNICEF Canada, a estimé que l'attention portée aux questions de genre dans le PDNA est "insuffisante" et que les consultations avec la société civile, les défenseur-es des droits de l'homme et les réseaux féministes sont "incomplètes." Partageant les préoccupations de Fisher, Winnie Byanyima, directrice de l'Unité genre du Bureau de développement des politiques du PNUD, a déclaré que "l'ennemi de l'égalité est l'urgence car elle empêche la réalisation d'une analyse sérieuse des différents moyens permettant de combler les inégalités."
Les questions les plus urgentes concernaient la mise en œuvre. Fisher a garanti que les recommandations formulées dans le Rapport parallèle en matière d'égalité hommes-femmes seraient suivies et qu'une analyse selon le genre serait intégrée à la planification et aux stratégies de mise en œuvre. M. Fisher a mis l'accent sur l'importance de données ventilées par sexe et de budgets sensibles au genre (Gender responsive budgeting (GSB)) pour assurer la prise en compte des femmes et des questions de genre dans la reconstruction d'Haïti.
Il est regrettable qu'à présent, dix ans après l'adoption par le Conseil de sécurité des Nations Unies de la première Résolution (S/RES/1325) sur les femmes, la paix et la sécurité, les engagements clés visant à accroître la participation des femmes dans le processus de consolidation de la paix et à assurer leur protection doivent encore être traduits en programmes, instruments et politiques en Haïti. Le Rapport parallèle en matière d'égalité hommes-femmes réclame des actions urgentes pour mettre fin à ces transgressions. Ces diverses actions comprennent :
• L'allocation de fonds spécifiques pour promouvoir et protéger les droits des femmes et pour renforcer l'égalité entre les sexes. Cela implique de soutenir la consolidation et le renforcement des capacités des principaux acteurs en matière d'égalité des sexes en Haïti, y compris le Ministère de la condition féminine et des droits des femmes ainsi que les mouvements et réseaux féministes;
• L'application de mesures spécifiques pour permettre aux femmes et plus particulièrement aux femmes chefs de ménage (30% des ménages sont dirigés par des femmes) de prendre part et de bénéficier du secteur privé, des initiatives en matière de moyens de subsistance ainsi que du soutien par rapport aux infrastructures, en intégrant notamment les priorités des femmes vis-à-vis d'écoles, de logements, de marchés et d'abris permettant d'accroître la sécurité des femmes;
• La participation d'expertes et de militantes dans le domaine de l'égalité des sexes au sein de tous les secteurs, des services sanitaires à l'agriculture, et la garantie que les priorités, les besoins et les opinions des femmes seront soutenus et visibles dans tous les secteurs;
• L'introduction d’indicateurs permettant d'évaluer la situation quant à l'égalité des sexes et d'autres outils budgétaires sensibles à l'égalité des sexes.
Danticat a déclaré : "Nous devons continuer à faire beaucoup de bruit au fur et à mesure que nous disparaissons de la conversation générale et ce n'est, comme d'habitude, pas sujet à négociations. Les organisations féministes et les femmes haïtiennes devraient jouer un rôle central dans la reconstruction d'Haïti."
> Les membres de la coalition et les signataires de la lettre ouverte aux donateurs.
Source : Solidarité féministe Haïti; traduction : AWID.