En matière de condition féminine, le Québec est une société égalitaire, mais il y a mieux. "Nous avons fait des progrès, mais nous restons encore loin derrière les sociétés scandinaves", explique le sociologue Paul Bernard. M. Bernard a réalisé une étude comparative en collaboration avec Sophie Mathieu, étudiante à la maitrise maintenant doctorante à l’Université Carleton. Le rapport définit quatre types de sociétés, de la plus égalitaire à la moins avancée sur le plan des politiques sociales et familiales.
Sans grande surprise, on trouve les pays du sud de l’Europe au bas de l’échelle : ce sont les "sociétés familialistes" dans lesquelles les femmes occupent moins d’emplois. Viennent ensuite les "sociétés de travailleuses temporaires" de l’Europe continentale. Ici, "les femmes travaillent surtout à temps partiel ou arrêtent de travailler pour aider les personnes dépendantes dans les familles", soulignent les chercheurs. Suivent les "sociétés libérales", qui comprennent principalement les États-Unis, l’Australie et le Canada. La place des femmes comme travailleuses y est acquise, mais les politiques sociales restent insuffisantes. Comme le mentionnent les chercheurs, "le propre des sociétés libérales, c’est de mettre le maximum de gens au travail pour obtenir une société prospère. Le paradoxe c’est que, même si les femmes jouent le jeu, rien n’est fait en contrepartie pour les aider en dehors de leur vie professionnelle". Les femmes étatsuniennes, par exemple, ont seulement droit à 60 mois de prestations sociales… dans toute leur vie!
C’est au chapitre des mesures politiques que les pays scandinaves restent des modèles. "Les mouvements sociaux ont très vite agi avec l’État pour mettre au point des mesures concrètes. Et ça fonctionne depuis des décennies!" explique Paul Bernard. En fait, plus l’État investit dans un service public de qualité, plus les femmes peuvent déléguer les tâches de garde des enfants, de soins aux personnes âgées, etc. pour se consacrer à leur travail. Dans cette logique, comme tous ces services drainent une main-d’œuvre importante et très souvent féminine, de nouveaux emplois de qualité sont donc créés pour d’autres femmes. Mais attention, aider les individus ne signifie pas faire les choses à leur place. "L’idée, c’est avant tout d’instaurer des mesures actives. Chacun-e doit faire sa part. Ainsi, les chômeurs reçoivent plutôt des formations que des allocations. Et ce système tend à se perpétuer, dans une sorte de cercle vertueux", observe Paul Bernard.
Le Québec peut-il adopter de telles mesures? "Oui, à condition que tous les ministères travaillent ensemble sur les parcours de vie des individus. Pour aider les femmes et les familles, il faut considérer la pauvreté, la violence, les rôles des hommes, bref la société toute entière." En comparaison avec les États-Unis et les autres provinces canadiennes, le Québec peut marcher la tête haute. Toutefois, ce sont les femmes qui ont porté la plus lourde responsabilité de ces changements. "Les Québécoises sont des superwomen qui doivent tout assurer : le travail, les tâches domestiques, les soins aux enfants..., le tout dans un contexte d’augmentation des familles monoparentales et avec une aide de l’État plus limitée qu’en Scandinavie", déplorent-ils.
> Bernard, Paul and Sophie Mathieu, «Droits, marchandisation et défamilialisation : une typologie des régimes de genre dans les sociétés post-industrielles», International Sociological Association's Research Committee on Poverty, Social Welfare and Social Policy, Toronto, August 2003
> Bernard, Paul et Sophie Mathieu, «Régimes providentiels et régimes de genre
Source : Aude Jimenez, 13.06.2005
Pages reliées :
Le Québec interpellé par l’ONU sur ses politiques sociales, Ligue des droits et libertés, 09.06.2005
Vers un nouveau contrat social pour l'égalité entre les femmes et les hommes, 09.12.2005