par Lucinda Marshall, directrice exécutive du Feminist Peace Network
En Haïti, comme c’est toujours le cas à la suite de catastrophes naturelles, en plus du besoin urgent de nourriture, d'eau, de soins médicaux et d'abris, il faut aussi répondre aux besoins propres aux femmes, particulièrement aux femmes enceintes et aux mères de nouveau-nés. Lorsque les infrastructures gouvernementales sont dysfonctionnelles, il est également nécessaire de tenir compte de la vulnérabilité encore plus grande des femmes face à la violence qui leur est faite.
Selon l’UN-INSTRAW et l'UNFPA :
Les femmes en âge de procréer font face à des obstacles qui restreignent leur accès aux soins prénatals et postnatals, en plus d’un risque plus élevé sur le plan des infections vaginales, des complications liées à la grossesse – y compris les avortements spontanés – des grossesses non planifiées et du stress post-traumatique. On a aussi documenté une augmentation de la violence faite aux femmes (…) Lors de situations de catastrophes naturelles et de rétablissement post-catastrophe, les cas de violence peuvent augmenter. « Compte tenu du stress qu’a engendré cette situation et des conditions dans les refuges, les hommes s’attaquaient plus fréquemment aux femmes. »
En outre, comme le souligne la MIndanao Commission on Women and Mothers for Peace Movement :
Ce sont les femmes qui souffrent le plus de l’impact du changement climatique et des catastrophes naturelles, en raison de la discrimination et de la pauvreté. On a pu observer le même phénomène auprès des femmes victimes de l’ouragan Katrina et du tsunami de 2004 dans l’Océan Indien, comme le démontre le rapport Gender and Climate Change.
Tracy Clark-Flory aborde le sujet de l’apport d’aide en Haïti dans un texte publié dans Broadsheet sur le site Salon.com :
Il ne s’agit pas seulement du fait que les femmes ont fréquemment besoin de soins particuliers après une catastrophe; les organisations de droits humains affirment qu’elles pourraient également jouer un rôle essentiel sur le plan de la distribution de l’aide dont on a tant besoin. Les femmes sont « des pivots essentiels à la vie familiale et communautaire » affirme Elaine Enarson (co-fondatrice du Gender and Disaster Network), et elles sont plus susceptibles de savoir « qui dans le voisinage a le plus besoin d’aide – là où vivent les mères seules, les femmes handicapées, les veuves et les plus pauvres parmi les pauvres ». Diana Duarte, porte-parole de MADRE, une organisation internationale des droits des femmes qui s’est jointe aux efforts d’assistance, l’exprime ainsi : « Les femmes sont souvent mieux intégrées à leurs communautés et plus conscientes de leurs vulnérabilités ».
Même au-delà de la réponse initiale d’urgence, une longue route vers le rétablissement se dessine, comportant d’autres défis singuliers pour les femmes et les filles. Elles sont « plus à risque de violence fondée sur le sexe, particulièrement de violence familiale et de viol, mais aussi de subir des mariages forcés dès le très jeune âge », en raison de leur dépendance accrue à l’égard des hommes sur le plan de la protection et du soutien, affirme Elaine Enarson. Après un désastre d’une telle magnitude, il y aura également une foule de « femmes récemment handicapées, veuves ou sans domicile » qui auront besoin d’aide. Duarte, de MADRE, souligne que le « niveau de pauvreté généralement plus élevé chez les femmes a des incidences négatives sur leur capacité d’accéder aux ressources nécessaires à reconstruire ».
Clark-Flory souligne également le travail du Gender and Disaster Network, qui appelle à une approche sensible au genre dans le cadre de l’aide apportée en Haïti et qui possède une mine de ressources sur le sujet.
Marie St. Cyr et Yifat Susskind de MADRE présentent cette excellente perspective de ce qu’une telle approche devrait impliquer en Haïti :
L’ensemble de la population haïtienne souffre en ce moment. Mais les femmes sont fréquemment les plus durement touchées lorsqu’une catastrophe se produit, parce qu’elles étaient déjà en situation déficitaire avant que le désastre ne survienne. En Haïti et dans tous les pays, les femmes sont les plus pauvres et elles n’ont aucun filet de sécurité. Conséquemment, à la suite d’un sinistre, elles sont encore plus vulnérables à la violence, à l’itinérance et à la faim. Les femmes sont également lourdement tributaires des responsabilités à l’égard des personnes vulnérables y compris les enfants, les personnes âgées, les malades et les personnes handicapées.
Parce que les femmes prodiguent des soins et qu’elles font face à la discrimination, elles ont des besoins disproportionnés sur le plan de l’aide. Toutefois, elles sont fréquemment ignorées dans le contexte d’opérations de grande envergure. Dans le chaos qui suit les catastrophes, l’aide est trop souvent dirigée vers ceux qui crient le plus fort ou qui bousculent pour se trouver au premier rang. Lorsque l’aide est distribuée par l’approche reposant sur le « chef de ménage », il se peut que les familles menées par des femmes ne soient pas reconnues ou encore que, dans les familles menées par des hommes, elles soient marginalisées lorsque l’aide est contrôlée par des membres masculins de la famille.
Il ne suffit pas de s’assurer que les femmes reçoivent l’aide. Les femmes dans les communautés doivent aussi faire partie intégrante de la conception et de la mise en œuvre des efforts de secours. Lorsque l’aide est distribuée par les femmes, elle a de meilleures chances d’être orientée vers les personnes qui en ont le plus besoin. Ce n’est pas le fait que les femmes soient moralement supérieures. C’est plutôt que leur rôle quant à l’apport de soins au sein des communautés signifie qu’elles savent où vivent toutes les familles, dans quels ménages sont les nouveau-nés ou les personnes âgées et handicapées; elles savent également comme joindre les communautés éloignées, même lors de catastrophes. De plus, les femmes de la communauté possèdent l’expertise sur les problèmes particuliers auxquels font face les femmes et leurs familles en cas de catastrophes.
Malheureusement, lors d’opérations d’assistance de grande envergure, les personnes qui sont déjà marginalisées sont habituellement celles qui « passent entre les mailles du filet ».
Rien de tout cela n’est particulièrement apprécié par le mouvement masculiniste. Robert Franklin, Esq. s’exprime ainsi dans le Men’s News Daily :
Selon Clark-Flory, « les femmes en général auront besoin de "fournitures hygiéniques'… ». Apparemment, les hommes et les garçons n’auront pas besoin de telles choses. Et « les femmes requièrent fréquemment des ressources et des soins particuliers après les catastrophes ». Encore ici, les hommes et les garçons n’en ont pas besoin. Est-ce parce que les hommes et les garçons sont des « supermans » qui n’ont pas besoin d’aide? Ou est-ce parce qu’ils le méritent moins que les femmes et les filles?
Premièrement, le texte d'Elaine Enarson (auquel réfère celui de Clark-Flory) n’affirme pas que les hommes et les garçons ne méritent pas d’être aidés. Il dit plutôt que les femmes ont certains besoins que les hommes n’ont pas et qui doivent être satisfaits. Deuxièmement (présumant que les lectrices aient eu le temps de se remettre de leur fou rire), apparemment M. Franklin, Esq. ne se rend pas très souvent à l’épicerie ou à la pharmacie, sinon il saurait que le mot « hygiénique » est un euphémisme pour décrire les produits sanitaires – oh attendez, voilà un autre euphémisme – d’accord, veuillez me pardonner mon indélicatesse – on parle ici de tampons et de serviettes hygiéniques que les femmes utilisent lors de leurs MENSTRUATIONS (voilà, c’est dit). En général, la plupart des gens qui font usage de ces produits sont des FEMMES. Mais si M. Franklin, Esq. sent vraiment qu’il en a besoin, je suis persuadée que nous pouvons lui en faire parvenir une boîte, accompagnée de directives complètes sur là où il pourrait les insérer.
Quant aux soins particuliers, à moins que les hommes ne deviennent « enceints » et aient des bébés, ils n’ont probablement pas besoin de ce type d’aide non plus.
À Spearhead (ils ne sont pas très subtils, n’est-ce pas?), on s’objecte également aux propos d'Elaine Enarson qui affirme que :
Elles sont « plus à risque de violence fondée sur le sexe, particulièrement de violence familiale et de viol, mais aussi de subir des mariages forcés dès le très jeune âge », en raison de leur dépendance accrue à l’égard des hommes sur le plan de la protection et du soutien.
Par ces commentaires :
Alors désormais les hommes qui protègent et soutiennent les femmes sont soupçonnés d’être des violeurs, des agresseurs d’enfants et des brutes? Est-ce que ces femmes étrangères sont plus dignes de confiance que les pères, les frères et les grands-pères des jeunes Haïtiennes? J’essaie de ne pas injecter mes opinions lorsque j’écris ces textes, mais Mme Enarson est coupable d’une insinuation des plus insultante dans son énoncé et elle a totalement tort. C’est bien dans les sociétés matriarcales, où les femmes ne peuvent compter sur le soutien des hommes, que les femmes font face aux plus grands dangers.
Vraiment? Nommez-moi une société matriarcale où cela s’est avéré ou s’avère toujours. Et oui, les femmes qui sont en général plus susceptibles de subir de la violence « intime » sont beaucoup plus susceptibles de devenir des victimes lorsqu’elles deviennent plus vulnérables sur le plan physique.
L’Institut international de recherche et de formation des Nations Unies pour la promotion de la femme (UN-INSTRAW) et le Fonds des Nations Unies pour la population (UNFPA) suggèrent ce cadre pour fixer de nouvelles priorités dans la manière dont nous prodiguons l’aide :
À la lumière des obstacles et des besoins identifiés, l’évaluation propose une série de recommandations concrètes parmi lesquelles :
• améliorer la santé génésique et sexuelle des femmes et des adolescentes vivant dans des situations de catastrophes naturelles et lors du rétablissement après les catastrophes
• assurer l’accès aux mesures contraceptives, particulièrement aux condoms pour la prévention du VIH
• fournir des soins postnatals et des médicaments pour combattre les infections et le stress post-traumatique
• réagir adéquatement aux cas de violence faite aux femmes, aux filles et aux garçons
• intégrer la prestation de services de santé et juridiques
• améliorer la sécurité des refuges pour éviter les abus de pouvoir de la part des gardiens.
Comme le fait si éloquemment remarquer Bill Quigley, nous devons :
Dans le cadre de l’aide humanitaire, accorder la priorité aux femmes, aux enfants et aux personnes âgées. Ils sont constamment relégués au bout de la file. Si on les place au dernier rang, commencez par les derniers rangs.
Plusieurs organisations travaillent à fournir de l’aide qui satisfasse les besoins spécifiques des femmes d’Haïti, dont MADRE qui :
Travaille à acheminer du soutien aux défenseurs des droits des femmes. Nous entendons des reportages décrivant l’horreur qui accompagne souvent de telles catastrophes – notamment une flambée de violence à l’égard des femmes. Il est essentiel que les défenseures des droits des femmes en Haïti reçoivent le soutien dont elles ont besoin pour aider les survivant-es et pour rejoindre les femmes qui tentent d’assurer leur propre sécurité et celle de leurs enfants, au sein du chaos qui enserre Port-au-Prince. Vous pouvez faire un don pour soutenir leurs efforts.
On peut aussi soutenir le Camp de solidarité Myriam Merlet, Anne-Marie Coriolan et Magalie Marcelin de même que la V-Day Haiti Sorority Safe House, qui fournit de l’hébergement aux femmes survivantes de violence et à leurs enfants, en plus du soutien psychologique, juridique et médical, le Global Fund for Women dont le Fonds de crise est spécifiquement destiné aux organisations de femmes du pays, l'International Planned Parenthood Federation, qui soutient la remise sur pied des cliniques de Profamil afin que cette organisation haïtienne puisse offrir des services dans les refuges, dont l'aide d'urgence, les soins obstétriques et de planification familiale, l'UNFPA qui finance les soins de santé maternelle d'urgence. Notez également que jusqu'au 31 mars 2010, tous les fonds recueillis par UNIFEM seront consacrés au soutien des refuges et services ciblant les femmes d'Haïti, incluant les victimes de violence de genre.
NB : Nous avons un peu modifié la fin du texte de Lucinda Marshall afin d'inclure le Camp de solidarité, qui n'était pas encore lancé lors de sa rédaction, ainsi que d'autres initiatives pertinentes.
Sources : AWID, 22.01.2010 et Ruth Fertig, womensrights.change.org, 17.01.2010