par Yolette Jeanty pour Kay Fanm
La fête du drapeau, le 18 mai, s’est commémorée dans un contexte où le pays est à genoux, suite au séisme du 12 janvier 2010 et en raison d’une situation politique trouble. Notre drapeau ne peut vraiment flotter car nous vivons dans une inqualifiable indignité et le pays est sous la férule de la communauté internationale. Malgré cela, les féministes de Kay Fanm, en tant qu’héritières de Catherine Flon1, veulent se faire entendre.
Nous tenons d’abord à redire aux populations que nous savons leurs terribles conditions de vie actuelles. En particulier, la masse de gens contraints de vivre dans des camps chaotiques, ou qui se débrouillent sur les décombres dans leurs quartiers; La multitude de personnes déplacées internes; La cohorte d’handicapés-es; Les femmes et les filles victimes d’agressions sexuelles; Les provinces en grandes difficultés suite à l’arrivée massive de personnes sinistrées.
Quatre mois après le séisme, aucune mesure sérieuse n’a été prise pour permettre aux populations de reprendre le contrôle de leurs vies. Nous ignorons encore le nombre exact de victimes; Nous n’arrivons pas à obtenir les pièces d’identité perdues; Nous sommes dans le calvaire des démarches liées aux disparitions; Nous sommes dans les gravats des décombres; Nous ne savons pas quel plan sera mis en oeuvre pour la reconstruction tant proclamée; Nous ne voyons pas poindre de décentralisation. À croire que les dirigeants veulent nous laisser dans la désolation de l’abandon, comme ce fut le cas pour la ville des Gonaïves. À Kay Fanm, nous ne croyons pas au « pito nou lèd nou la », au « mieux vaut être là, même dans la laideur ». Nous croyons aux luttes, à la réflexion, au travail pour construire l’avenir de notre pays, dans la dignité et le respect des droits de toutes les catégories de personnes.
Quatre mois après le séisme, il est inacceptable que des gens vivent encore sur des gravats, soient logés dans des tentes, sous un soleil de plomb ou sous la pluie torrentielle. Il est grand temps que l’État aide les personnes sinistrées à se reloger décemment. Nous devons revendiquer pour que les autorités organisent les conditions pour la création d’emplois, la reprise du travail productif. C’est cela qui permettra aux populations d’être en capacité de participer pleinement à la reconstruction. Faisons porter nos voix, pour que l’État assume ses responsabilités en instaurant des programmes d’appui à la réfection des habitations endommagées et des programmes de logements sociaux. Avoir un logement décent, c’est un droit humain! Faisons résonner nos voix, pour éviter que d’autres catastrophes s’ajoutent à celle du 12 janvier; Comme, par exemple, la situation des enfants qui ne peuvent réintégrer l’école parce que le séisme à laissé leurs parents sans moyens, ou parce que leur école a été transformée en camp, ou encore parce que leur école s’est effondrée et que les responsables n’ont pas les moyens de reconstruire.
Le pays peut-être reconstruit et il doit l’être. Si nous prenons le chemin qu’il faut. Parler de reconstruction, ce ne peut être une phrase en l’air, ni un slogan. C’est une parole qui doit être profondément pensée car, ce qui est en jeu, c’est notre avenir, celui de nos enfants et de la future génération.
• Reconstruire le pays, c’est divorcer des pratiques de roublardise, de corruption, de politicaillerie, d’irresponsabilité, où un Exécutif et un Parlement peuvent s’arroger le droit d’ignorer les règles. Reconstruire le pays, c’est donc avoir un discours authentique pour les populations et agir envers elles sans entourloupette.
• Reconstruire le pays, c’est mettre un terme à l’immense désordre qui nous étouffe : Désordre politique qui nous empêche de construire une réelle démocratie; Désordre électoral qui entrave la jouissance des droits citoyens; Désordre des normes, insuffisantes ou inadéquates, et absence de mesures pour imposer leur strict respect; Désordre dans l’administration publique; Désordre dans la gestion du territoire; Désordre dans les secteurs de la justice, de l’économie, de l’éducation, de la santé; Désordre quant au respect des droits fondamentaux de la personne, en particulier le droit à l’alimentation, aux soins de santé et au logement.
• Reconstruire le pays, c’est redistribuer les cartes pour que l’État serve enfin l’intérêt collectif et donc que les populations reçoivent des services, puissent produire et accéder au bien-être tant réclamé.
• Reconstruire le pays, c’est édifier un système de protection sociale qui permette à la solidarité nationale d’agir vis-à-vis des catégories les plus vulnérables, telles que : les familles monoparentales féminines, celles avec des handicapés-es, celles à très faibles revenus; les enfants orphelins, en domesticité et des rues; les personnes âgées sans ressources.
• Reconstruire le pays, c’est s’engager résolument sur un chemin pour progressivement sortir de la dépendance vis-à-vis de l’étranger, afin que ce soit des Haïtiens et des Haïtiennes, parés de la légitimité et de la confiance des populations, qui prennent des décisions selon les intérêts nationaux.
Pour que nos ancêtres reposent enfin en paix, mobilisons-nous pour changer l’image de notre pays!
Port-au-Prince, le 22 mai 2010.
1 - Héroïne nationale ayant cousu le drapeau.
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