Pour les femmes qui souhaitent accéder à des postes de haute direction, la compétence et la performance, voire la volonté et l’ambition, ne suffisent pas toujours pour être reconnues et promues. Certains éléments du contexte organisationnel, tels que la sensibilité de l’organisation à la réalité des femmes, l’existence d’un lien entre l’employée et un membre du réseau des personnes influentes dans l’organisation, l’encouragement et le soutien offerts tout au long du cheminement professionnel ou l’émergence d’opportunités liées à une restructuration, à des projets spéciaux ou à de nouvelles activités, s’avèrent souvent déterminants. L’ascension professionnelle est donc bien souvent le résultat d’une combinaison de facteurs individuels et organisationnels auxquels s’ajoute la présence de circonstances favorables.
Tel est ce qui se dégage de l’étude Où sont les femmes dans la direction des organisations? - dont voici les fiches synthèses - réalisée par la Chaire Claire-Bonenfant – Femmes, Savoirs et Sociétés de l’Université Laval à la demande des signataires de l’Entente spécifique en matière de condition féminine dans la région de la Capitale-Nationale. Cette recherche qualitative menée auprès de 56 personnes travaillant dans trois grandes organisations de la région de la Capitale-Nationale – dont 11 femmes et 16 hommes ayant atteint le sommet de ces organisations – avait pour but de mieux comprendre la situation des hommes et des femmes dans les instances de direction, de trouver des explications à la sous-représentation des femmes dans les postes de haute responsabilité et de découvrir de nouvelles pistes de solution.
Bien qu’ils ne soient statistiquement pas significatifs et qu’ils ne permettent pas de faire de généralisation pour l’ensemble des organisations québécoises, les résultats de l’étude ont l’avantage de fournir des informations très riches sur le vécu des personnes rencontrées, de remettre en question certaines idées reçues et d’offrir des pistes de réflexion et d’intervention à ceux et celles qui aimeraient contribuer aux changements nécessaires pour améliorer la situation.
Une progression qui demeure lente
La progression des femmes vers le sommet des grandes organisations québécoises, canadiennes, américaines et européennes demeure en effet encore lente. Au Québec, en 2010, seulement 36 des 466 plus hauts dirigeants des 100 plus grandes entreprises québécoises cotées en bourse étaient des femmes. Pourtant, les barrières à la formation supérieure ont été levées, la majorité des étudiants dans les universités sont des étudiantes – qui réussissent très bien par ailleurs – et les femmes représentent la majorité des diplômés du baccalauréat en administration des universités du Québec depuis déjà deux décennies. Comment expliquer, dès lors, leur difficile parcours vers les plus hauts sommets dans la direction des organisations?
Une combinaison de facteurs
Comme le rapporte l’étude, attribuer aux seuls « choix des femmes » la lenteur de leurs progrès dans les postes de haute direction, référant ainsi aux types de qualifications qu’elles ont acquises, à leur valorisation des rôles de mère et de conjointe ou encore à l’importance qu’elles accordent à une « certaine qualité de vie », c’est ignorer l’effet des dynamiques sociales, notamment celles associées aux processus de recrutement et de sélection de personnel. Ainsi, si des opportunités d’avancement se présentent dans l’organisation, il faut, en plus de détenir les qualifications requises, en être informé ou être invité à poser sa candidature, ce qui peut parfois relever du privilège ou d’un heureux hasard. Les résultats de l’étude montrent que certains sont encouragés et davantage soutenus dans leur progression que d’autres; toutefois, rares sont les femmes qui ont témoigné d’un tel soutien et d’un tel encouragement. De plus, plusieurs femmes ont dû changer d’organisation pour progresser alors que les hommes rencontrés ont surtout cheminé à l’intérieur d’une même organisation.
Les messages qui transpirent dans une organisation au regard de ce qu’il faut pour être promu sont par ailleurs déterminants. Les exigences réelles liées aux postes de cadres supérieurs ne sont pas toujours très claires ou encore bien comprises de la part des femmes qui tendent à les surestimer – ce qui finit par les décourager de poser leur candidature – alors qu’elles sous-estiment les avantages liés à ces postes. La « culture des longues heures » – qui varie selon les organisations – constitue aussi un obstacle. Dans certains cas, la lourde charge de travail des cadres supérieurs est bien connue alors que dans d’autres, une partie du travail est rendue invisible en raison du fait qu’elle est effectuée au domicile les soirs et les fins de semaine, ce qui laisse faussement croire que le nombre d’heures à consacrer au travail est moindre.
L’étude permet enfin de déboulonner certains mythes. Ainsi, contrairement à ce que l’on pourrait penser, les femmes qui occupent un poste de cadre intermédiaire ou supérieur dans les organisations analysées sont davantage en couple et ont davantage d’enfants que les Québécoises en général. La conciliation travail-famille (CTF) demeure toutefois un enjeu majeur pour elles alors que les hommes vice-présidents, même s’ils comptent dans certains cas plus d’enfants que leurs homologues féminines, évoquent rarement les enjeux de la CTF dans les décisions liées à leur cheminement professionnel. La structuration des rôles au sein du ménage de ces hommes est généralement différente de celle de leurs collègues femmes : ils bénéficient en effet du fait qu’un adulte ralentit ou interrompt son propre cheminement professionnel pour assurer l’intendance à la maison, ce qui s’avère moins fréquent pour les femmes vice-présidentes. Le défi que représente la conciliation travail-famille reste donc encore un tabou qui affecte surtout les femmes.
Quelques pistes de solution
L’étude présente certaines pistes de solution pour faire avancer les choses. Ainsi, les chercheuses recommandent aux organisations de mettre en place des systèmes de repérage des talents et de développement du potentiel, tout comme de mettre en relation les personnes talentueuses avec plusieurs membres influents de l’organisation, pour diversifier les influences et nourrir leur réseau. Elles proposent
également aux organisations de revoir leurs mesures d’équité en emploi et la façon dont celles-ci sont communiquées et mises en place, de manière à mieux les faire connaître et accepter. D’autres recommandations s’adressent davantage aux femmes à qui les chercheuses suggèrent de prendre le temps de développer leur réseau professionnel interne et externe et de le nourrir afin d’augmenter leurs chances d’être connues et reconnues. Il leur est en outre conseillé de rechercher les occasions professionnelles de collaborer avec des membres de l’organisation oeuvrant à des niveaux supérieurs et dans d’autres secteurs, ainsi que de travailler à mieux comprendre les dimensions politiques des organisations.
Méthodologie
L’étude a été réalisée par Hélène Lee-Gosselin, titulaire de la Chaire Claire-Bonenfant – Femmes, Savoirs et Sociétés, et Hawo Ann, professionnelle de recherche à la Chaire, avec la collaboration de Marie-Laure Diop, Julie Guilbault, Suzanne Roy et Saran Sow. La cueillette des informations s’est faite au moyen d’entrevues en profondeur.
L’échantillon, constitué de personnes s’étant portées volontaires, comprenait 15 hommes cadres supérieurs et un homme cadre intermédiaire, 10 femmes cadres supérieures, deux femmes ayant occupé un poste de vice-présidente, 25 femmes cadres intermédiaires ainsi que trois professionnelles. Les trois organisations dont ces personnes sont issues emploient plus de 1 000 personnes chacune, oeuvrent dans le secteur des services et disposent d’un plan d’accès à l’égalité en emploi.
Rappelons que l’Entente spécifique en matière de condition féminine dans la région de la Capitale-Nationale, dans le cadre de laquelle l’étude a été produite, impliquait le ministère de la Culture, des Communications et de la Condition féminine, le ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale, le Bureau de la Capitale-Nationale, le Conseil régional des partenaires du marché du travail de la région de la Capitale-Nationale, la Conférence régionale des élus de la Capitale-Nationale, le Forum jeunesse de la région de la Capitale-Nationale, les sept centres locaux de développement (CLD) de la région, ainsi que le Regroupement des groupes de femmes de la région de la Capitale-Nationale (Portneuf-Québec-Charlevoix).
Source : Chaire Claire-Bonenfant et CRÉ de la Capitale-Nationale, 12.03.2012