Les Québécoises ont bénéficié de la création d’emplois syndiqués dans le secteur public à partir des années 1960. Aujourd’hui, la sous-traitance des services publics, comme l’aide à domicile, entraîne une fulgurante précarisation d’emplois féminins, occupés par de nombreuses femmes racialisées ou immigrantes.
Le 14 janvier, l’ORÉGAND, en collaboration avec le Réseau québécois en études féministes (RéQEF) et le Comité de recherche 04 de l’Association internationale des sociologues de langue française (AISLF), organisait une conférence-midi au cours de laquelle Louise Boivin, professeure au Département des relations industrielles de l’UQO, présentait les résultats de sa recherche portant sur les mécanismes de la précarisation du travail dans les services d’aide à domicile offerts par des sous-traitants et les défis qu'elle pose à l’action syndicale.
À la fin des années 1970, Québec a commencé à prendre en charge les services d'aide à domicile. Les auxiliaires familiales ou sociales d'alors négociaient collectivement leurs conditions de travail. 40 ans plus tard, l'organisation de ces services par l'État se base de plus en plus sur la sous-traitance, ce qui a pour conséquence de précariser ces emplois au point où Mme Boivin parle d'un recul historique majeur.
Mme Boivin a étudié les conditions de travail des femmes employées par des sous-traitants qui dispensent des services d'aide personnelle, ce qui lui a permis de les comparer à celles des travailleuses du secteur public. Elle a identifié trois types de sous-traitants dans ce secteur : une partie des travailleuses sont embauchées via le Chèque d'emploi-service, d'autres sont employées par des entreprises d'économie sociale, tandis que dans certaines régions, des travailleuses sont engagées par l'entremise d'agences de location de personnel temporaire.
Dans le cas du Chèque d'emploi-service, dans les faits, les travailleuses ne peuvent pas se syndiquer car le droit du travail identifie les usagers comme étant les employeurs. Dans celui des entreprises d'économie sociale, une partie des travailleuses sont syndiquées, mais comme leur employeur est souvent fragile économiquement, leur salaire n'est pas très élevé. Finalement, la plupart des travailleuses des agences de location de personnel temporaire ne sont pas syndiquées, et les deux seules agences syndiquées identifiées par Mme Boivin ont vu leurs contrats rompus par l’organisme public lorsque le syndicat a déposé une requête pour faire reconnaître cet organisme comme leur véritable employeur.
Dans les trois cas, le Code du travail protège mal ces travailleuses tandis que les donneurs d'ordre ont peu d'obligations juridiques. On constate donc que la sous-traitance de ces services amène une perte de droits du travail pourtant reconnus il y a 40 ans et une grande précarisation des conditions de travail. En effet, l'organisation du travail se base sur une disponibilité permanente juste-à-temps en accord avec les logiques du Lean (qu'on retrouve aussi dans le secteur public) et du travail domestique. Les horaires se trouvent individualisés, variables, à temps partiel et fragmentés. Elles assument certaines tâches non prévues dans le contrat de services (donc non rémunérées) parce qu'elles sont nécessaires aux bénéficiaires. Leur temps de déplacement est peu ou pas rémunéré, tandis qu'elles ne perçoivent que 37% à 49% du salaire qu'elles auraient eu dans le secteur public (sans parler des avantages sociaux). Cette déqualification du travail est sexuée et racialisée parce qu’elle est nourrie par les idéologies légitimant la précarisation de certaines catégories de salarié-es. Une situation d'autant plus inquiétante avec le récent dépôt du Livre blanc sur l'assurance autonomie dans lequel le gouvernement annonce son intention de transférer l'ensemble des services d'assistance personnelle à des sous-traitants.
Les syndicats n'ont pas encore cherché à développer des stratégies innovatrices pour dépasser les obstacles juridiques auxquels se butent ces travailleuses. Cependant, il y a eu des exemples d'actions collectives menées par des associations de personnes handicapées qui sont arrivées à obtenir de substantielles augmentations des chèques d'emploi-service. Les syndicats devraient sortir des frontières qui délimitent les secteurs publics et privés en formant des alliances avec des acteurs diversifiés et agir dans un but socio-politique, plutôt que de laisser leur action se limiter au cadre des lois du travail.
Pages reliées :
Combien valent les travailleuses de l’aide à domicile?, Marie-Hélène Verville, 31.01.2017
Assurance autonomie - La persistance de la dévalorisation du travail des femmes, Louise Boivin, 30.04.2013
Réorganisation des services d’aide à domicile au Québec et droits syndicaux : de la qualification à la disponibilité permanente juste-à-temps, Louise Boivin, Nouvelles Questions Féministes, 10.2013