Dans le cadre de la Semaine de la recherche de l'UQO, le 25 mars, l’ORÉGAND, en collaboration avec le RéQEF, le CINBIOSE et le Comité de recherche 04 de l’AISLF, tenait une conférence-midi au cours de laquelle Jessica Riel, professeure au Département des Relations industrielles et spécialiste du domaine de la santé/sécurité, présentait les résultats d'une recherche exploratoire visant à comprendre la situation de travail des enseignantes de métiers à prédominance masculine. Enseigner un tel métier en formation professionnelle au secondaire comporte de nombreux défis pour les femmes tant au niveau professionnel que personnel et familial. Sa présentation en a exposé plusieurs tout en mettant en lumière les aspects sur lesquels il faut agir pour améliorer la situation de ces femmes.
Elle a débuté son exposé par une mise en contexte. L’enseignement en formation professionnelle est un secteur d'emploi constitué de 57,4% d’hommes et 42,6% de femmes qui se concentrent dans des champs d'enseignement distincts. 22 de ces 29 champs sont à prédominance masculine (mécanique, soudage, métiers de la construction, etc.). Comme ces enseignant-es sont recrutés en raison de leur expertise de métier, ils se retrouvent novices dans l’enseignement sans disposer d’une formation en pédagogie. Ils développent donc de nouvelles compétences sur le tas. Afin de conserver leur autorisation légale d’enseignement, pour s’outiller et éventuellement avoir accès à la permanence, ils ont l’obligation de faire un bac en enseignement professionnel à raison d’un certain nombre de crédits par année et ce, en concomitance avec l’enseignement. Faire un bac dans de telles conditions peut prendre jusqu'à 10 ans.
Les défis liés à l’enseignement en formation professionnelle sont donc nombreux :
• défi du changement : changement d’identité, d’environnement, de collègues, de travail
• défi d’enseigner : être devant un groupe, partager ses savoirs et savoir-faire et développer la confiance des élèves
• défi d’étudier : devenir étudiant-e à l’université alors que ce n’était pas nécessairement un objectif
• défi de concilier trois statuts : en plus d'enseigner et d'étudier, plusieurs exercent aussi leur métier afin de se tenir à jour ou pour contrer la précarité du secteur de l'enseignement; il devient donc difficile de concilier ces trois statuts avec la vie personnelle et familiale, et d'autant plus pour les mères de jeunes enfants et les proches aidantes.
En plus de ces défis propres à l’enseignement en formation professionnelle, plusieurs enseignantes doivent surmonter les stéréotypes de genre liés à la culture des métiers qu’elles enseignent qui valorise la masculinité. À leur arrivée en enseignement, plusieurs ont été confrontées à des comportements et propos sexistes, de l'agressivité, du harcèlement et, dans certains cas, à de l’affichage pornographique. Lors des premiers cours, elles doivent composer avec des préjugés défavorables des élèves à leur endroit, ce qui ne facilite pas l'établissement de leur crédibilité. Une fois établie, encore faut-il la conserver alors que leurs compétences peuvent être remises en question par des élèves et parfois aussi par des collègues qui les discréditent devant les élèves. De plus, face aux comportements inappropriés (blagues sexistes, agressivité, gestes à connotation sexuelle) d’élèves, elles doivent répondre sans être agressives pour ne pas passer pour hystériques. Lorsqu’il s’agit de comportements inappropriés provenant de collègues, elles doivent se « défendre » seules. En effet, bien que n’appuyant pas nécessairement les propos inappropriés, leurs collègues ne réagissent pas collectivement; certains vont plutôt offrir un soutien individuel.
Ainsi, les stéréotypes de genre nuisent à l’enseignement en ralentissant le déroulement des cours et en demandant de consacrer plus de temps à la gestion de la classe. Ils nuisent aussi à la préservation du lien de confiance nécessaire à l’apprentissage et exigent des enseignantes d’en faire plus et ne pas faire d’erreur pour conserver leur crédibilité.
Tant les exigences de l’enseignement en formation professionnelle que les stéréotypes de genre contribuent à alourdir la charge de travail. Les enseignantes composent avec les contraintes engendrées par ce contexte en déployant diverses stratégies. Toutefois, elles s’exposent à des risques pour leur santé puisqu’elles ne font que pallier le véritable problème.
Mme Riel conclut qu'il faudrait agir sur l’organisation en instaurant des mesures qui facilitent la conciliation des multiples statuts et en repensant les exigences de l’enseignement en formation professionnelle. Il serait aussi nécessaire d'agir sur les stéréotypes en instaurant une politique claire de tolérance zéro visant à prévenir les comportements inappropriés et à les enrayer ainsi que des mesures pour faciliter la dénonciation; en sensibilisant les enseignant-es à la problématique du harcèlement; et en mettant en place des réseaux d’échange pour briser l’isolement des enseignantes.