Le 25 février, l’ORÉGAND, en collaboration avec le Réseau québécois en études féministes (RéQEF) et le Comité de recherche 04 de l’Association internationale des sociologues de langue française (AISLF), offrait une conférence-midi au cours de laquelle la sociologue Denyse Côté, professeure en travail social à l’UQO et directrice de l'ORÉGAND, parlait de la réalité vécue par les groupes de femmes haïtiens après le séisme. Rappelons que Denyse Côté étudie depuis 30 ans les mouvements sociaux, en particulier les groupes de femmes, au Québec et en Haïti.
Les structures humanitaires internationales créées pour agir en situation de désastre ont toutes intégré des objectifs en matière d’égalité des femmes. Comment expliquer que leurs interventions s’avèrent souvent contre-productives pour les groupes de femmes des pays ou localités visés? Ce fut le cas lors du séisme haïtien de 2010. Un retour critique sur une situation déplorable.
L'appareil humanitaire a ses avantages et ses limites, limites d'autant plus évidentes quand on s'ingère dans les affaires d'un pays où l'État nation ne dispose pas d'institutions fortes et de budget. Ce qui était déjà le cas en Haïti avant le séisme de 2010 qui a tué de nombreuses personnes clés et détruit les édifices gouvernementaux.
Alors qu'Haïti n'était pas en guerre, on a appliqué des méthodes propres aux situations de conflit. Pendant deux ou trois ans, les États-Unis ont pris les rênes des opérations de même que le contrôle de l'aéroport et de la capitale. Un appareillage très important a été déployé pour la "sécuriser". Notez que cette prise en charge globale de Port-au-Prince est un précédent.
Alors que les médias nous montraient l'aide humanitaire en train de porter secours aux Haïtien-nes, on ne voyait pas ce que les gens du pays faisaient eux-mêmes sur le terrain. On se représentait les Haïtien-nes en tant que victimes incapables de s'organiser, ce qui a dressé un obstacle à l'activité des groupes de femmes. Alors que ces groupes sont très actifs et qu'ils s'intègrent au sein d'un mouvement des femmes structuré, ils ont été marginalisés plutôt que renforcés. Leur financement a même diminué. Par ailleurs, certaines organisations féministes internationales ont tenté de manipuler des groupes de femmes afin d'obtenir du financement pour leurs propres projets.
Pire : l'ONU et Amnistie internationale se sont mis à dénoncer une pandémie de viols dans les camps sans s'appuyer sur des données. Ils n'ont pas contacté les groupes de femmes qui colligent des données sur les viols et les agressions. Ceci les a obligés à se mobiliser pour rétablir les faits, ce qui était d'autant plus difficile sans accès à l'Internet. Ces organisations internationales voulaient financer leurs propres activités en Haïti, plutôt que soutenir le travail des groupes de femmes qui faisaient déjà de la prévention et oeuvraient sur le terrain depuis des années.
Même si l'approche genre est intégrée au sein des institutions internationales, elle est dépolitisée, appliquée en tant que technique d'intervention. Elle devrait plutôt être comprise comme l'objectif global des interventions, objectif qui rend nécessaire de comprendre la situation et donc aussi d'écouter les groupes de femmes qui la connaissent très bien. Oui on a sauvé des vies, mais on a agi comme s'il n'y avait que des victimes à sauver.
Pages reliées :
« Anpil fanm tombe, nap kontinye vanse » : luttes féministes en Haïti, Denyse Côté, Revue Possibles, 17.07.2014
Les femmes en Haïti : mythes et réalités, vidéo d'une conférence présentée par Danièle Magloire à l'UQO le 3 avril 2013