Le 15 avril 2014, l’ORÉGAND, en collaboration avec le Réseau québécois en études féministes (RéQEF), le Comité de recherche 04 de l’Association internationale des sociologues de langue française (AISLF) et le Centre d’étude et de recherche en intervention sociale (CÉRIS), présentait une conférence au cours de laquelle Sylvie Thibault, professeure et directrice du Département de travail social de l’UQO, parlait de son parcours à titre d'intervenante, de formatrice et de chercheure auprès de l'Association de lutte contre les violences faites aux femmes (ALVF) de la région de l'Extrême-Nord du Cameroun.
C'est par l'entremise du Service d'assistance canadienne aux organismes (SACO) qu'en 2006, elle a eu son premier contact avec le Cameroun et les mariages précoces et forcés. La région de l'Extrême-Nord est très pauvre par rapport aux autres régions du pays. La population y vit d'une façon plus traditionnelle. Lorsque les petites filles arrivent à la puberté, les parents jugent qu'elles devraient être mariées. Ils vont alors accepter les offres d'hommes prêts à payer une dot. Les filles se retrouvent dans une maison inconnue où elles sont peut-être la troisième ou quatrième épouse. Elles doivent intégrer ce milieu hostile et faire les tâches qu'on attend d'elles. De retour au Canada, des liens et des collaborations à distance ont continué de se développer depuis. En 2012, avec l'ALVF a été réalisé un petit projet de recherche pour tenter de faire le profil des femmes et des interventions auprès d'elles. Toutefois, un certain nombre de limites ont été rencontrées lors de la collecte de données. Des biais ont été identifiés dont celui de la langue, le français étant une langue encore difficile à parler pour plusieurs femmes. Un autre biais était lié à la trop grande bienveillance des intervenantes dans la préparation des participantes. Le dernier était lié à la participation de femmes qui fréquentent les services d’aide et qui ont déjà un discours et un regard différents sur leur vécu.
Le prochain projet aura comme objectif principal de mettre au jour et de documenter la réalité et la diversité du vécu de violence des femmes de la région de l’Extrême-Nord en analysant leur discours. De façon plus spécifique, il s'agira de documenter les manifestations de violences spécifiques à l’endroit des femmes de la région de l’Extrême-Nord et de les comparer à celles d’autres régions du Cameroun voire d’Afrique; de comprendre les facteurs de risque qui maintiennent les femmes dans des situations qui portent atteinte à leur intégrité physique, sexuelle et psychologique; de comprendre les facteurs de protection qui interviennent dans la vie des femmes et de leurs enfants; d'explorer les besoins des femmes en termes de réponses sociales pour contrer et mettre fin à la violence dont elles sont victimes; et finalement, d'élaborer des plaidoyers qui permettent aux femmes et aux militantes d’engager un dialogue avec les décideurs. À partir de septembre 2014, Sylvie Thibault sera avec les femmes de l'ALVF pour 6 à 7 mois afin de mettre en place différentes activités liées à ce projet de recherche.
Sa participation aux activités et à la vie de l'ALVF l'interpelle à la fois en tant que femme, mère de trois filles, intervenante et chercheuse, mais surtout en tant que féministe. Ce qu'elle apprécie particulièrement chez ses collègues africaines est le fait qu'elles ne perdent pas de temps à parler des différences de visions ou de principes féministes. Elles cherchent plutôt à trouver des bases communes pour bâtir une analyse plus riche.
Mme Thibault souhaite continuer de s'approcher un peu plus de ce que vivent les filles et les femmes de l'Extrême-Nord du Cameroun et c'est par la recherche développée en co-construction qu'elle tentera d'y arriver. Elle souhaite surtout que cette expérience favorise des échanges Sud-Nord et que nous puissions apprendre de nos sœurs africaines.