Le 8 avril 2014, l’ORÉGAND, en collaboration avec le Réseau québécois en études féministes (RéQEF) et le Comité de recherche 04 de l’Association internationale des sociologues de langue française (AISLF), offrait une conférence-midi au cours de laquelle Caroline Caron, professeure au Département des sciences sociales de l’UQO, présentait les résultats de ses recherches.
Celles qu'elle mène présentement portent sur les aspects positifs des rapports qu’entretiennent les jeunes avec la technologie et les médias, notamment au regard de l’engagement, de la participation et de la citoyenneté. Dans cette conférence, elle aborde cependant un sujet délicat qui a surgi de son récent examen exploratoire de profils créés sur YouTube par des adolescentes : sur ces profils, on observe parfois la présence de réponses sexistes suite à la publication de contenus en ligne par les jeunes internautes féminines.
Suite à ce constat, Caroline Caron élargit son investigation et expose sa réflexion en cours, dans cette conférence, sur la question de la prise de parole publique des filles et des femmes dans les espaces socionumériques. Pour ce faire, elle appuie sa discussion sur un cas particulièrement frappant de harcèlement et d’intimidation à caractère sexiste dont a été récemment victime une jeune activiste féministe d’origine canado-américaine, Anita Sarkeesian, qui publie, sur son site Internet Feminist Frequency, une série de vidéos intitulée « Tropes vs Women in Video Games ».
En tant qu’occurrence exceptionnelle, ce cas de harcèlement sexiste est, de l’avis de l’auteure, particulièrement significatif. En effet, la violence qui s’exprime dans les stratégies discursives employées par les harceleurs à l’endroit d’Anita Sarkeesian mettent en relief les éléments les plus virulents de l’expression d’un « anti-féminisme ordinaire« » (Bard, 1999) qui paraît être omniprésent dans le Web 2.0 mais sous-documenté par la recherche et pratiquement invisible dans le discours médiatique. Envisagé comme la pointe d’un iceberg, ce cas laisse penser que des investigations plus poussées méritent d’être menées pour documenter, comprendre, analyser et remettre en question des pratiques communicationnelles qui ont pour but, ou qui ont pour effet, d’exclure les femmes des espaces publics en ligne.
Sur ce point, Caroline Caron établit un lien avec les actualités récentes de la région, précisément le dévoilement d’une conversation sexiste s’étant tenue sur Facebook par des représentants étudiants élus à l’encontre d’Anne-Marie Roy, la présidente de la Fédération étudiante de l’Université d’Ottawa (FÉUO). Caroline Caron soutient que le traitement médiatique de cet incident, ainsi que les discussions des internautes à propos de celui-ci, révèlent le caractère politique des représentations médiatisées (en ligne et hors ligne) en ce que celles-ci exposent des dynamiques de communication qui s’appuient sur des rapports sociaux de sexe et qui visent également à reconduire ces rapports asymétriques pour mieux les consolider et ainsi maintenir un rapport de domination.
Cette surveillance des frontières du genre exprime néanmoins une lutte discursive agissant à la fois pour la déstabiliser que pour la sécuriser. En effet, si le Web 2.0 facilite l’expression et la diffusion massive de sentiments et des stratégies misogynes, elle facilite aussi la mobilisation féministe et pro-féministe à son encontre. Pour preuve, Anita Sarkeesian, qui a lancé une campagne de financement pour appuyer son initiative féministe dans l’univers des jeux vidéos, a recueilli tout près de 150« 000« $ au lieu des 6« 000« $ initialement visés. Dans un contexte où le Web 2.0 semble s’affirmer comme un espace public ambivalent par rapport au principe d’égalité de participation de filles et des femmes (à la fois espace de résistance à l’égalité et de promotion de l’égalité), tout un champ de travail théorique et d’action de problématisation des rapports sociaux de sexe en ligne.
Avis : malgré les précautions de la conférencière, certaines images et certains propos sexistes et violents exprimés par des internautes et rapportés dans cette conférence pourraient choquer.