par Cathy Wong
Dans les 31 pages de l’accord de Paris sur le climat, ratifié par le Canada cette semaine, se cache une révolution passée inaperçue : un traité international reconnaît enfin que les femmes sont plus vulnérables aux changements climatiques.
Et pour cause. Les femmes et les enfants sont 14 fois plus à risque que les hommes de perdre la vie lors de désastres climatiques, selon les analyses du Fonds des Nations unies pour la population. Lors du tsunami de 2004 en Asie, 70% des personnes décédées étaient des femmes. Entre autres raisons, parce qu’elles n’avaient jamais pu apprendre à nager ou à grimper dans les arbres.
La présidente du Global Fund for Women, Kavita Ramdas, rappelle que, outre certaines différences biologiques, ce sont les inégalités de genre déjà présentes dans la vie quotidienne des femmes qui les rendent encore plus vulnérables lors des catastrophes climatiques. Leurs faibles revenus, les obstacles à leur mobilité, leur sécurité plus précaire, leur accès limité aux ressources et le poids des responsabilités familiales constituent en effet un ensemble de facteurs de vulnérabilité et de risque.
On pourrait croire que ces inégalités ne frappent que loin de chez nous. Mais c’est faux. En France, lors de la canicule qui avait causé la mort de milliers de personnes en 2003, le taux de mortalité des femmes était de 15 à 20% supérieur à celui des hommes, tous âges confondus. Les études du Réseau canadien pour la santé des femmes ont démontré que les femmes sont moins tolérantes à la chaleur pour diverses raisons liées à leur métabolisme.
Sans compter les lendemains de catastrophes climatiques où, là encore, les femmes sont plus vulnérables. Aux États-Unis, des analyses ont constaté une augmentation du nombre de cas de violence sexuelle dans les refuges d’urgence après le passage de l’ouragan Katrina en 2005.
Chez nous aussi, la crise du verglas de 1998 a fait preuve de discrimination, et ses effets se font encore sentir aujourd’hui sur nos enfants. Une étude sur les femmes enceintes a établi un lien entre le stress prénatal qu’ont subi les mères à ce moment et les impacts sur le développement psychomoteur. On parle de troubles de comportement en plus grand nombre chez ces enfants, de même que d’une mortalité périnatale plus élevée. En tout temps, il est estimé qu’environ 18 à 20% des femmes en âge de procréer sont enceintes ou en train d’allaiter, ce qui place cette catégorie de femmes encore plus à risque lorsque les catastrophes climatiques frappent.
Des constats, mais toujours pas d’actions
Et pourtant, plus de 15 ans après, nous n’avons toujours pas pris la mesure des inégalités homme-femme en matière d’environnement.
Selon les chercheuses de l’étude « L’intégration du genre dans la lutte aux changements climatiques » signée en 2013, les réalités spécifiques aux femmes demeurent méconnues au Québec. Le Plan d’action 2013-2020 sur les changements climatiques du gouvernement du Québec n’inclut d’ailleurs pas une ligne sur les différences de genre. Pourtant, les recherches internationales sur les effets spécifiques du climat sur les femmes s’accumulent depuis dix ans. Il est temps de documenter davantage ce phénomène chez nous afin de générer des données probantes susceptibles d’orienter adéquatement les mesures à prendre.
Les plans de mitigation et d’adaptation aux dérèglements planétaires doivent prendre en considération le vécu des femmes. Elles doivent participer aux réflexions sur la préparation des milieux de vie, l’application des interventions, la reconstruction des lieux, des réseaux et des soins. On ne peut pas occulter la moitié de la population. Les femmes sont des actrices essentielles dans nos communautés, et leurs expériences sont précieuses. Certaines d’entre elles dépendent davantage de l’environnement — en particulier les femmes autochtones — et elles peuvent jouer un rôle actif dans la protection et la préservation de notre écosystème.
Alors que le Canada vient de ratifier l’accord de Paris et s’apprête à négocier un plan sur le climat, on doit insister pour que les débats ne se limitent pas au prix du carbone. Il s’agit d’une occasion pour affirmer un leadership féministe en incluant l’égalité comme valeur cardinale et en mettant en avant des politiques climatiques adaptées aux différentes réalités, notamment celles des femmes. Parce qu’on est en 2016.
Source : Le Devoir, 07.10.2016