La représentation des intérêts des femmes au niveau régional a connu une histoire particulière. La réforme Picotte de 1992 ouvre une ère de décentralisation en augmentant progressivement les pouvoirs et responsabilités des Conseils régionaux de développement (CRD) et en élargissant le modèle à l'ensemble des régions administratives. C'est au sein de ces instances que sont apparus les sièges femmes au Québec, issus d'une volonté des Tables de concertation régionale des groupes de femmes à participer à la planification et à la mise en oeuvre du développement dans leur région respective.
L'époque des CRD
Jusqu'en 1992, des représentantes de tables de concertation des groupes de femmes siègent dans cinq CRD. Avec l'adoption de la nouvelle politique de développement régional (ou réforme Picotte), le gouvernement du Québec instaure le principe de gouvernance régionale partagée entre les secteurs, dans laquelle les groupes de femmes prennent part. Au départ, on retrouve peu de femmes dans les organismes reconnus comme représentatifs d'un secteur de la société civile. C'est pourquoi les tables de concertation de groupes de femmes de plusieurs régions demandent une représentation similaire à celle des cinq premiers CRD. En 1994, devant la difficulté des groupes de femmes à obtenir une représentation significative de leur contribution au développement régional, ils revendiquent des sièges spécifiques (sièges femmes) pour assurer une représentation minimale. Les CRD de sept régions accèdent à cette demande et quatre leur reconnaissent une place dans la catégorie « communautaire ». Cette même année, 15,5% des sièges sont occupés par des femmes dans l'ensemble des CRD.
Dans les années qui ont suivi, 15 des 17 CRD ont mis en place un siège femmes. Quoique les modalités d'application diffèrent quelque peu d'une région à l'autre, le principe reste à peu près le même. Par exemple, au CRD de la région de Québec, lors des appels à candidatures pour l'occupation du siège femmes, des citoyennes peuvent soumettre leur candidature à titre individuel ou recommandée par un groupe. Une candidate est par la suite choisie par un collège électoral composé de déléguées des groupes de femmes de la région. La commissaire nommée doit à partir de ce moment siéger à titre individuel. Dans d'autres régions, c'est directement une table de concertation régionale de groupes de femmes qui désigne la personne qui occupe le siège femmes.
La mise en place des sièges femmes a été suivie de près par celle des tables régionales sectorielles (dont des tables en condition féminine dans plusieurs régions), et d'une ressource responsable du suivi des dossiers « condition féminine » dans certaines régions. En 1997, le gouvernement adopte la Politique de soutien au développement local et régional (ou réforme Michaud) qui consolide le modèle des CRD et qui crée les centres locaux de développement (CLD). C'est également l'année de l'adoption de la 5e orientation en matière de condition féminine qui a pour but de favoriser « l’atteinte de l’égalité de présence des femmes et des hommes dans les instances locales et régionales dans l’établissement des règles relatives aux élections et aux nominations qui sont de son ressort » et la prise en compte des intérêts particuliers des femmes par ces instances. L'année suivante, on lance le programme À égalité pour décider qui vise à soutenir la participation des femmes dans les instances décisionnelles locales et régionales. Les résultats de ces mesures sont frappants : entre 1992-1993 et 2000-2001, la présence de femmes au sein des C.A. de l'ensemble des CRD est passée d'environ 14% à 27%.
Mise en place des CRÉ
En 2003, la Loi sur le ministère du Développement économique et régional et de la Recherche est adoptée (loi 34). Elle remplace les CRD par des Conférences régionales des élus (CRÉ). Alors qu’un tiers d'élu-es siégeait au sein des C.A. des CRD, la nouvelle loi exige dorénavant un minimum de deux tiers d'élus municipaux au sein des C.A. des CRÉ. Ceci aura pour effet de diminuer le nombre de femmes au sein des C.A. puisque la majorité des femmes sont représentantes de la société civile plutôt qu’élues. Les groupes de femmes et le Conseil du statut de la femme ont exprimé leur inquiétude à ce sujet.
Bien que l'objectif de la parité et de l'égalité hommes-femmes au sein des CRÉ soit réaffirmé par la loi 34, les sièges femmes disparaissent dans plusieurs régions. Les tables Femmes (ou condition féminine) disparaissent également. Par exemple, en Outaouais, toutes les tables sectorielles sont définitivement remplacées par des commissions consultatives, dont aucune n'est dédiée à la condition féminine. On préconise plutôt la transversalité au sein des commissions. Aucune structure ne garantit le respect de ces principes, ce qui nourrit l'inquiétude des groupes de femmes. La remise sur pied d’une table spécifique en matière de condition féminine est encore projetée.
Sources
BRAIS, Nicole et Winnie FROHN (2000), «État local et mouvement des femmes à Québec : une étude de cas» , dans Lien social et Politiques, n° 47, 2002, p. 55-66.
CONSEIL RÉGIONAL DE DÉVELPPEMENT DE L'ÎLE-DE-MONTRÉAL (1999), Politique sur la place des femmes dans le développement de l'Île de Montréal.
CONSEIL DU STATUT DE LA FEMME (2003), Commentaires sur le projet de loi no 34 Loi sur le ministère du Développement économique et régional, Québec: Gouvernement du Québec.
CONSEIL DU STATUT DE LA FEMME (2000), Les restructurations municipales : un défi d'équité pour les femmes, Québec: Gouvernement du Québec.
GOUVERNEMENT DU QUÉBEC (2000), Les femmes et le développement local et régional, les femmes au cœur des décisions, Québec: Gouvernement du Québec.
MASSON, Dominique (2001), «Gouvernance partagée, associations et démocratie : les femmes dans le développement régional», Politique et Sociétés, vol. 20, n° 2-3, 2001, p. 89-115.
ORÉGAND, Dossier : Conférences régionales des élus et CRÉO
> Dossiers : Conférences régionales des élus et CRÉO - Historique des politiques régionales de développement